Extrait du livre "Histoire de la France et des français au jour le jour - La guerre de cent ans" d'André Castelot et Alain Decaux (Ed. Liriade)
Une masse hétéroclite, effrayante, d'hommes à cheval et à pied, avec les vêtements et les armes les plus disparates qu'on puisse imaginer. Des seigneurs et des manants, des Gascons, des Navarrais, des Anglais, des Hollandais, des Espagnols, des Allemands, des Bretons, des Brabançons. Ils se reconnaissent à des sobriquets : Bras-de-Fer, Briseharre, Troussevache, le Petit Meschin... Quand ils s'avancent vers un village ou une ville, c'est un cri de terreur répété de proche en proche : "Les routiers !" Ces brigands qui ravagent la France, ces routiers, forment ies grandes compagnies.
Des mercenaires pillards
Durant les longs conflits, les armées recrutent des bandes de mercenaires qui, désoeuvrées lorsqu'une trève est conclue, pillent le pays pour eux-mêmes. La plupart se retranchent dans des forteresses. Vers la fin de l'année 1358, les compagnies anglo-navarraises occupent dans l'Ile-de-France près de soixante chateaux. De là, ils surveillent toute la région environnante et rançonnent ce qui a odeur d'argent. Pour un soldat, le pillage est alors chose licite. Le brigandage devient donc un des pires fleaux de la guerre. Les routiers ne respectent rien ni personne. Ils pillent les églises, s'en prennent aux monastères, enlèvent les évêques... Tout homme riche est prétexte a rançon. A Cuissy-et-Gény, en Laonnois, les brigands, dit un texte de l'époque, "pillent, ardent (brûlent), rançonnent, destruent tout le pais, mettent à mort et prennent prisonniers tous les hommes et ravissent et déshonorent toutes les femmes qu'ils peuvent trouver".
Un brigandage organisé
Auprès d'eux, vit une véritable intendance : des selliers, des tanneurs, des tonneliers, des marechaux-ferrants, des houchers, des couturières, des blanchisseuses. La compagnie a ses chirurgiens, ses medecins - et même des clercs-comptables. Les chefs de bande convertissent la marchandise volée en honnête monnaie francaise, italienne ou anglaise. Certains investissent et achètent de la manière la plus légale des terres et des demeures. Les grandes compagnies sont très mobiles et jouissent d'un réseau d'espions remarquablement informés. Elles ont leur region de prédilection : la Normandie, la Bourgogne, le Languedoc... y trouvant d'excellents pâturages pour les chevaux et du pain pour les hommes.
En 1358, des bandes navarraises sont commandées par leur chef habituel, Jean de Picquigny. Emu du pillage de ces brigands dont it finit par redouter l'irruption jusqu'en Avignon, le pape Innocent VI depêche deux cardinaux-légats chargés de demander aux belligerants qu'un terme soit mis à ces guerres intestines. Mais les prélats et leur suite sont assaillis près de Dijon. Charles le Mauvais continue ses rapines. II échoue devant Troyes mais réussit à Auxerre où les Anglais se livrent à un sac en règle de la ville. La "guerre de course" - tel est le nom que méritent les incessantes randonnées de routiers - se poursuit.
La monarchie doit négocier
La toute-puissance des compagnies est telle que, pendant la captivité de Jean le Bon, le prince Charles, régent, négocie avec les brigands. I1 lui est impossible de circuler librement sur les routes qui vont de 1'Ile-de-France a l'Artois et a la Picardie. Extraordinaire tractation qui aboutit, le 13 mai 1360, a un traité signé devant notaire a Paris, dans le propre palais du régent. Charles traite avec le sire Thomas de Beauchamp, comte de Warwick, maréchal en chef anglais reconverti au brigandage : i1 s'engage a libérer toutes les forteresses de la zone nord si le régent lui verse, avant le 24 juin, 12 000 florins d'or. Le bon peuple de Paris, qui va profiter commercialement du retablissement des voies de communication, est invité a se porter caution, "dans leurs personnes et dans leurs biens", du règlement de cette rançon.
Une vaine résistance
Dès 1361, Bertrand du Guesclin et quelques bons capitaines font la chasse aux grandes compagnies. Des Bretons, des Gascons tiennent solidement les régions de Chartres, de l'Orléanais et les environs de Paris. Le pape lui-même est menacé à Avignon. Plusieurs bandes s'installent en Languedoc. Après avoir tremblé, les habitants de toutes ces régions s'insurgent. Une armée, commandée par Tancarville, lieutenant du roi, se réunit contre eux. Mais quinze mille routiers se jettent sur les troupes du roi et les écrasent : c'est la bataille de Brignais, le 6 avril 1362. On doît conclure une trève avec les chefs des brigands. Les bandes alors se dispersent à travers le Lyonnais, le Forez, l'Auvergne, le Nivernais, le Gévaudan, le Languedoc.
Sujet: Les grandes compagnies 
Ven 28 Déc - 16:05
